mardi 08 mai 2012

Depuis le jour où j’ai commencé à écrire pour « lemondeagricole.ca » il y a maintenant plus de 2 ans, j’ai eu la chance de recevoir de nombreux commentaires positifs et encourageants à propos de mes textes qui y sont publiés. Chaque fois, ça me touche énormément. J’écris avec les yeux d’un enfant qui découvre un monde dont il ne connaissait pas la réelle dimension, et je me sens souvent bien petit devant toute l’ampleur de ce qu’il comporte. Mais j’ai beau me sentir maintenant plus près du monde agricole, sentir que celui-ci m’accepte malgré mes racines prise dans le « bitume », n’en demeure pas moins que je n’ai pas l’étoffe et la vision d’un agriculteur.

Il y a quelque jours, alors que je devais mettre la très grande partie de mes énergie sur « Le Grand Show », j’ai reçu un texte par courriel de la part d’une personne que j’ai eu la chance de rencontrer à quelques reprises. Je me suis dit : « wow… génial comme texte… et quel plaisir de lire ces mots écrits avec cœur, par quelqu’un qui a une vision bien différente du « citadin » que je suis »!

Quelques jours plus tard, avec la permission de son auteur, je me permets avec grand plaisir de partager avec vous ce texte qui m’a fait voir « Le Jour de la Terre » sous un angle différent de celui que nous montrent habituellement les différents médias… Y’a de quoi réfléchir…

(Yves Allard)


À propos du Jour de la Terre…

(Par Paul Caplette)

Aujourd’hui, c’est le jour de la terre. Toute la semaine dans le tracteur, tout en travaillant, j’entendais l’annonce de l’événement et les attentes.

Combien de commentaires portant sur le recyclage, la protection des ressources, l’exploitation de celles-ci par l’industrie.

Il me semble que je n’ai pas entendu beaucoup de commentaires sur « la terre ».
La terre qui nous nourrit. Celle qui me fait vivre moi et le fruit de mes récoltes qui nourrit une partie de la population. Celle qui est convoitée par tant de promoteurs qui n’y voient que des pieds carrés à bâtir, à développer. Combien de gens en fin de semaine se sont demandés ce qui était en dessous de leurs pieds il y a quelques dizaines d’années, centaines d’années? Des terres agricoles que nos grand’pères ont défriché pour nourrir et y élever leur famille. Tout petit, je me souviens que mon père allait récolter le maïs d’un agriculteur sur le boulevard Fiset… aujourd’hui ce sont des maisons. Un ami me racontait que jadis, son grand’père cultivait les légumes dans le coin de la boulangerie Weston à Montréal; il traversait sur la glace pour aller vendre ses légumes en ville. Je me promène sur la 30 et je vois apparaitre des développements au travers des boisés qui poussent comme des champignons. Les arbres carrément arrachés à la pelle et mis en tas… on brasse tout ca pour y mettre béton et asphalte.


On ne peut être contre le progrès et faut tout de même que les gens vivent en quelque part, j’en suis bien conscient. Mais sommes-nous des visionnaires efficaces pour diminuer au maximum notre pression sur les terres agricoles, celles qui nous nourrissent?
Quand je vois qu’au lieu d’entretenir une route comme la 132 et l’aménager de façon sécuritaire, on semble la délaisser pour espérer construire une autre route. Où? Probablement sur des terres agricoles…….Ensuite on y construira une route d’accès parallèle, ensuite quelques commerces à des endroits stratégiques. Encore des sols agricoles qui disparaissent sur le dos du développement.

Pourrait-on penser à revitaliser nos villages ou villes déjà existants au lieu de faire la promotion d’un tout nouveau développement domiciliaire? On se gargarise d’être écolo parce qu’on a plus de matériel dans les bacs bleus. Pendant ce temps-là, on change nos électros pour la nouvelle couleur à la mode ou on change carrément de quartier pour du plus neuf!

La population mondiale augmente à vue d’œil et les surfaces agricoles diminuent de jour en jour, alors pensons y.Comme agriculteur, je vois tous les jours des événements qui me semblent toujours du jamais vu. La nature ne se comporte pas toujours de la même façon et on doit composer avec. J’ai 30 semis d’expérience et chaque année, j’en apprends sur la nature, sur mes plantes. L’an dernier, un printemps tardif et cette année, tout le contraire : un printemps tellement hâtif qu’on se demande si on n’a pas oublié un mois en chemin. Je dois utiliser mon bon jugement et agir en conséquence. Qu’on nous annonce sécheresse, froid ou excès de pluie, on doit semer… c’est mon métier. Ensuite on agira au meilleur de nos connaissances pour toujours viser une excellente récolte en fin d’année.

Aujourd’hui, jour de la terre, je n’irai pas marcher à Montréal. Je viens de faire 110 heures de travail cette semaine à la travailler. Je suis crevé de fatigue. Ce n’est que le début …les quatre prochaines semaines seront plus intenses, genre 125 heures par semaine pour semer dans les temps, pour m’occuper de la terre. Cet après-midi, je prends une marche pour la terre, seul avec ma conjointe et mes deux chiens. Je marche sur ma terre… au centre, c’est le silence. Je respire et j’admire une centaine de bernaches cachées dans les tiges de maïs en semis direct; j’observe les bourgeons sur mes 400 arbres plantés il y a quelques années; je jette un coup d’œil à quelques-uns de nos 72 avaloirs. Je gratte le sol pour déterminer l’avancement de mon blé semé dernièrement. Je compte les vers de terre… ils sont bien là.

On revient vers la maison et dans ma tète, je pense déjà à demain, à tout ce que j’ai à faire. J’espère seulement qu’un jour, il n’y aura pas un rassemblement ici et que quelqu’un se demande ce qu’il pouvait bien y avoir avant le béton!



Paul Caplette
Agriculteur

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