jeudi 29 novembre 2012

Une Saison exceptionnelle

(Par Paul Caplette)

Aujourd’hui je suis affairé à terminer les récoltes 2012. Il me reste une 12e heure de battage à faire. Cette année j’aurai passé environ 300 heures à opérer cette moissonneuse. Je la connais par cœur. Pendant que j’écoute avec attention le moindre nouveau bruit qui pourrait compromettre la fin ultime de la récolte, je pense à tout le travail exécuté pour arriver à ce résultat. La moindre déconcentration ou le moindre bris peut tout changer.


Ce n’est pas aussi dramatique mais quand ça fait autour de 10 mois que tu travailles pour réussir ta saison en plus de préparer la prochaine, avoir hâte de conclure est un peu normal.

La planification des rotations, le choix des semences, les travaux, les inquiétudes, les imprévus gérés au fil de la saison nous amènent au résultat d’aujourd’hui. Certaines décisions prises aussi loin que lors de la récolte précédente, en décembre ou en avril peuvent influencer les résultats. Tous les détails comptent!

Aussitôt sortis des entretiens généraux des champs autour de la Saint-Jean, on commence déjà la récolte des céréales qui débute autour du 15 juillet. Ensuite, les pois verts, fin juillet début août, suivi de la récolte du blé, du printemps à la mi-août. Une fois récoltés, les champs sont resemés en plantes de couverture pour occuper le sol, le stabiliser et éviter l’érosion. Les récoltes d’automne commencent par le soya qu’on réensemencera en céréales d’hiver. On conclut avec la récolte du maïs.


Y a quelque chose de spécial pour la récolte du maïs. Une plante exigeante mais qui nous en redonne aussi, si on en prend bien soin. Une plante qui donne 4 fois le volume du soya et 3 fois le volume du blé. Bien avant nous, les mayas la voyait comme une plante divine. Ils avaient même un dieu du maïs : Yumtaax, le dieu du maïs, de l’agriculture et de l’abondance. Imaginez, un grain vous en donne 400-500 parfois plus. Une plante miraculeuse comparée à bien d’autres. Pas pour rien qu’elle est la plante la plus cultivée dans le monde.


Pour nous, agriculteurs, la récolte du maïs confirme en général notre fin de saison. C’est un peu comme arriver à la coupe Stanley!

Toute une saison de travail qui se culmine par la plus exigeante, celle qui démarque les vrais "farmer". On a tous des anecdotes à raconter autour de la récolte du maïs. Plusieurs d’entre nous ont eu la chance de commencer à opérer des équipements pendant la récolte du maïs. Ça prend tellement de ressources humaines qu’un jour ou l’autre, il manque quelqu’un et la phrase magique :« Enwoye mon jeune, tu vas runner le grain car » …comme un réserviste d’une équipe de hockey en pleine série qui a le signal du coach d’embarquer sur la glace avec les vrais. Les gars aiment parler du maïs… des rendements du prix…grosses journées, heures interminables. Oubliez le sommeil, les petits bobos… aucune différence entre les dimanches, les samedis, les jours de fête… on oublie même les dates. Pas rasé… dodo minimum… retraite …ferme… tout est focus sur la récolte.

On a besoin de tous nos réservistes; nos employés occasionnels viennent nous aider pour la récolte, en plus de faire leurs heures régulières à leur vrai travail. Des travaillants dans les coins, ça en prend pour arriver à la coupe Stanley du maïs.

Déjeuner à la maison le matin très tôt, puis on démarre la journée avec notre énorme boite à lunch, en plus d’une bonne réserve d’eau et de notre livre de bord qui va nous suivre toute la journée. Plus la récolte avance, plus on remplit la boîte à lunch, comme si on se disait qu’on aurait assez de bouffe pour sauter une journée sans revenir à la maison. On voit les étoiles, le ciel est clair, pas de gel au sol. Belle journée en vue « big day today ».On va récolter du maïs aujourd’hui!



Sortis de la maison, une odeur de boulangerie nous attire directement vers les séchoirs à maïs. Arrivés sur place, c’est bruyant… 12 millions de btu qui sèchent le maïs. Ils fonctionnent 24 heures sur 24. Si on les entend fonctionner, c’est bon signe… on aura assez de place pour la récolte d’aujourd’hui. Je monte dans le silo pour vérifier la qualité du grain. Ça sent bon et il fait tellement chaud que j’aurais le goût de piquer un petit somme à la chaleur. Une fois cette étape franchie, on se dirige vers la moissonneuse. C’est un peu le leader de l’équipe… si elle va, tout va… sinon on doit tous s’y mettre pour régler le problème.

Quelques ajustements, lubrifications et vérifications des machineries… une fois les moteurs réchauffés, les opérations démarrent. Un orchestre réglé au quart de tour… la moissonneuse qui récolte et transfert au grain car sans arrêter pour gagner du temps. Du grain car au camion qui lui, file droit à la réception. Une fois sur place le maïs passe au séchoir, ensuite il se dirige dans le silo refroidisseur pour finir dans une cellule d’entreposage…et c’est le but!!!

Tous ces équipements travaillent en même temps; s’il y a bris, ça change le plan de la journée; faut réparer et repartir plus tard. Chaque jour de retard nous fait toujours penser à une année ‘x’ où on s’est vus obliger de déneiger 10cm de neige en pleine récolte…attendre que ça fonde pour repartir plus tard. On a déjà récolté en décembre. Des moteurs frileux, des vis gelées…je grelotte juste d’y penser. Avec le temps on s’y fait; on sait qu’on a déjà réussi, alors on se dit que de toute façon on n’a pas le choix. Si la récolte est au champ, faut s’organiser pour aller la chercher.

Le temps est compté… pas d’arrêt pour personne… on travaille une main sur le volant et l’autre qui tient un sandwich, des fruits, des bonbons, des bananes… ça prend de la bouffe pour tenir. Pendant que tout roule à fond faut quand même suivre les marchés des grains sur notre téléphone, céduler les livraisons avec nos clients et faire le suivi de tout le processus d’affaires de la ferme.

Pendant la récolte, on prépare déjà la prochaine saison. Les champs semis direct sont déjà déterminés. Bizarre d’être en train de récolter le maïs tout à coté d’un champ de blé déjà levé qu’on récoltera en 2013.

2012 restera marquée comme une saison exceptionnelle sur son ensemble. Bonnes conditions de semis au printemps. Le manque d’eau en milieu de saison nous a inquiété mais finalement les rendements étaient au rendez vous…dame nature était de notre bord! Quantité, qualité en plus de belles conditions de récolte…même Sandy nous a épargnés.

Pendant la récolte on aura réalisé une parcelle d’essai de 36 hybrides de maïs en plus d’une parcelle de 16 variétés de soya pour évaluer lesquels seraient les plus performants pour les prochaines saisons. Un vrai camp des recrues! Quinze essais d’ajustement de fertilisation azotée, trente essais d’application foliaire dans le maïs et le soya…quelques évaluations de nouvelles plantes en engrais vert, en plus des données GPS rendement, pour arriver à faire un portrait exact du résultat des récoltes, mètre par mètre, dans chaque champ. On a même notre station météo sur la ferme qui enregistre aux 15 minutes toutes les données météo qu’on compilera pour évaluer les UTM totales.
La journée avance, il ne me reste que quelques heures de récolte à faire et j’ai déjà hâte de traiter toutes ces données, les évaluer, les comparer et surtout planifier ma prochaine saison.

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