mardi 18 juin 2013

Apprivoiser nos cours d’eau!

(Par Paul Caplette)

Très jeune, j’ai eu mes premiers contacts avec les cours d’eau dont un tout juste derrière notre maison, un cours d’eau naturel assez profond qui pouvait même déborder à l’occasion au printemps.

Ma mère avait une peur bleue qu’on s’en approche et nous prévenait souvent de ne pas nous y aventurer de peur qu’on tombe dedans.

Après de fortes pluies, on entendait le bruit d’écoulement de l’eau et on savait que ça brassait. Tellement, que dans ces périodes-là on évitait d’y faire traverser nos vaches.
Tranquillement on a apprivoisé l’eau en allant pêcher après l’école avec quelques amis. Cannes à pêche bricolée avec un vieux manche, fil de sac à moulée auquel on attachait un vieil écrou comme poids…on était équipés! On y a passé des heures mémorables. On a aperçu des rats musqués, des grenouilles, des canards et à l’occasion, un héron impressionnant en descente qui nous passait tout juste au dessus de la tête. Une faune très particulière se révélait autour de nous.

J’ai appris à aimer le calme et le petit bruit d’écoulement de l’eau qui pouvait être brisé par un cri : «ça mort j’en ai un !»

Un peu plus tard je suivais mon père aux champs sur le tracteur et il en profitait pour m’initier au danger du cours d’eau…celui qu’on devait craindre.

En même temps, il insistait pour me faire comprendre qu’il fallait faucher tout près pour éviter que des branches s’y installent. A cette époque, branches était synonyme de négligences.

A mes débuts, opérer la presse à foin du haut de mes 7 ans, attaché sur le siège du tracteur avec un câble pour éviter que je tombe, mon père débarquait à tous les bouts pour m’apprendre le rayon de braquage idéal pour s’en approcher sécuritairement.
Je regardais en avant et j’avoue que j’avais un peu peur du haut du tracteur; ça ressemblait à tout un ravin et mon imagination me faisait craindre le pire, si jamais je manquais mon virage. Plus tard sur la charrue, on m’enseignait l’art de « coller la levée » un signe de contrôle du tracteur et de bon entretien.

On a longtemps considéré les cours d’eau comme un mal nécessaire. Notre objectif : s’assurer que l’eau s’écoule et ne nuise pas à la progression des cultures. Si la culture allait, tout était correct.

Déjà à la fin des années 80, on était initiés à l’érosion des sols; comment l’observer, comment la réduire. Fallait changer nos méthodes, notre approche. Plusieurs d’entre nous avons modifié nos pratiques culturales : travail réduit pour garder des résidus sur le sol, semis direct, drainage et nivellement des sols, bandes riveraines, brise-vents, avaloirs, rotations des cultures et plantes de couvertures… des techniques innovantes qui demandent temps et adaptation de notre part. Comme agriculteur, il faut se faire l’œil. Les paramètres ne sont plus les mêmes; les automatismes doivent être changés. Pas facile de changer mais lentement, on s’adapte.

Au fur et à mesure qu’on adaptait ces techniques sur la ferme, on était plus curieux, plus conscients de la démarche globale qu’on pouvait avoir sur notre cours d’eau. Lentement on a développé une conscience environnementale. Pour réussir ce processus on doit voir les gains sur le global de la ferme et espérer des résultats à plus long terme.

Planter des arbres, installer des avaloirs ou même faire des rotations ne sont pas toujours bénéfiques financièrement dès l’an un. Si à la fin de l’année financière mes revenus sont insuffisants, on ne peut dire : «au moins t’as planté des arbres» ou «tu as réparé tes sorties de drains.» Les obligations financières sont toujours là.

Quand un jour, nos enfants sont revenus de l’école en nous disant : «Papa, tu pollues» je leur ai dit : « Un peu de retenue» et je leur explique que je fais de mon mieux pour améliorer le plus possible mes impacts négatifs. Un sentiment intérieur fort monte en moi comme si on me disait «t’es pas bon.» C’est comme une bonne gifle et un bon coup sur l’orgueil. Premier réflexe intérieur est de me dire que c’est pire ailleurs, dans tel autre secteur. Au fond, c’est facile de jeter la pierre ailleurs. Mais moi qu’est-ce que je peux faire chez moi pour au moins diminuer l’impact environnemental sur mon cours d’eau. Vous connaissez le principe : si tous les gens impliqués font leur part, à la fin au total, on sera tous gagnants.

On a accéléré le processus de gestion de nos sols sur la ferme.
Drainage, nivelage, avaloirs, bandes riveraines enherbées, rotations des cultures, semis direct, travail minimum, plantation d’arbres, engrais verts, semis sous couvert végétal…toutes des techniques qui nous permettent de s’assurer que notre sol reste chez nous le plus possible.

Faut quand même avouer que c’est pas facile de décider de planter une rangée d’arbres en plein centre d’une pièce quand tu as travaillé fort pour les enlever il y a quelques années. On se convainc de le faire parce qu’on se dit qu’au moins ce sont de bonnes essences, qu’on a choisit des arbres qui ont une bonne longévité et qu’en bonus, ça améliore notre paysage.

Comme on dit souvent : ça prend quand même quelqu’un qui voudra les entretenir, généralement une tâche additionnelle pour l’agriculteur.

De plus en plus, lors de nos tournées de champs, on en profite pour vérifier les sorties d’eau. On observe la stabilité des talus et des bandes riveraines. On porte une attention particulière aux sédiments dans l’eau; si c’est problématique on règle le problème.

Par la suite, quand j’allais aux champs avec les enfants, je leur expliquais ce que je faisais. Je les faisais descendre en bas du cours d’eau pour qu’ils observent les grenouilles et j’en profitais pour leur dire : « Regarde comme l’eau est claire. » Douce revanche de celui qui l’avait mal pris au début. Par la suite, en allant ramasser des papillons avec eux, ils insistaient pour se rendre aux grenouilles. Plus jolie comme expression que de dire «on s’en va au 20.» Encore aujourd’hui, ils se rappellent du point de rencontre des grenouilles même s’ils ont plus de 20 ans.

Après 20 ans de travail, on réalise aujourd’hui les bénéfices à long terme d’avoir évolué dans notre façon d’intervenir aux champs après de nombreux essais-erreurs et d’ajustements pour arriver à diminuer notre impact sur l’érosion. Le travail est colossal. Neuf km de cours d’eau et 18 km de bandes riveraines à suivre… 82 avaloirs et plus de 850 arbres à entretenir. C’est pas fini avec notre rapport de 142 pages de diagnostic d’érosion des berges et des champs… chez nous on doit continuer notre travail.

Quand je vois un reportage qui parle de pollution agricole dans les cours d’eau, je me sens concerné même si ce n’est pas un cours d’eau qui passe chez moi. Je me dis toujours : « Y a encore du travail à faire.» J’aime mieux y aller à notre rythme et améliorer les choses que d’attendre qu’une loi restrictive soit mise en place pour nous obliger à intervenir. Si on n’agit pas sur notre ferme comme agriculteur, qui le fera?

Après tout ce travail pour garder notre sol chez nous, il y a quelques années, on a remarqué un phénomène qui s’accentuait. La régression des berges et le décrochage de talus. De grands mots pour dire que le cours d’eau se creuse par lui-même et entraîne malheureusement avec lui le sol des talus vers le fond et se lessive pour finir en sédiments plus loin dans la baie de Lavallière. Ou encore, le talus trop abrupt finit par descendre au fond… bandes riveraines ou pas. Un peu frustrant de voir que tous nos efforts aux champs étaient annulés suite à la dégradation du cours d’eau lui-même. Je pourrais me contenter de me dire que j’ai aucun problème de profondeur de cours d’eau. Mes cultures sont ok alors pourquoi je me casserais la tête? Mais si seulement un endroit ou une zone s’érode dans mon secteur, ça peut annuler tous les efforts qu’on a mis sur la ferme.

Une demande a été faite par un voisin et suite aux recommandations des firmes d’ingénieurs, la MRC a proposé un nouveau concept innovateur pour réduire ce phénomène. Pour le réaliser, il fallait que tous les intéressés à ce cours d’eau soient d’accord pour payer une partie des frais pour réaliser le projet. On parle de projet dans les 6 chiffres. C’est dispendieux sur le coup mais en groupe, si on se partage la facture à cent fermes et qu’on amortit sur 40 ans au lieu de 20 pour un cours d’eau plus stable et sans dégradation… pourquoi pas?

Les agriculteurs concernés ont embarqué. Beau geste d’ouverture d’esprit et de solidarité qui prouve que quand on se met à plusieurs pour régler un problème, on peut réussir. Belle réussite dont on n’entend malheureusement pas assez parler. Parlez-en aux agriculteurs qui ont implanté le projet et ils vous diront tous que ce sera positif à long terme.

Frustrant en même temps de voir un si beau projet qui ne fait pas l’unanimité des différents ordres professionnels. On dirait qu’ils défendent chacun leur territoire, résultat : pas de consensus. Les ingénieurs trouve ça ok, l’environnement est frileux, le MAPAQ voit ça d’une autre façon, des spécialistes en hydro morphologie ont leur point de vue. On discute, on s’interroge, on taponne, on ralentit les prochains projets qui pourraient être constructifs et efficaces. Pendant ce temps l’agriculteur voit son cours d’eau se dégrader sans pouvoir rien y faire.

Je sais que le dossier cours d’eau à la MRC est un sujet chaud dans la région. On a souvent tendance à retenir les imperfections ou mésententes du passé. On a l’impression que certains ont des comptes à régler. On craint les cours d’eau. Certains ont peur d’avancer de peur d’être pris dans des investissements sans fonds.
D’autres se disent que si l’eau coule, tout va. D’autres ont des intérêts à défendre, etc.

Faut se rendre à l’évidence, les temps ont changé. Notre façon de cultiver s’est modifiée dans les vingt dernières années. Moins de pâturages, et les champs sortent l’eau en 24 hres au lieu de 72hres.
Avec le réchauffement climatique on aura droit à de plus en plus de grosses pluies violentes en peu de temps. Tous des points qui mettent de la pression sur les cours d’eau. Faut oublier les anciennes façons et agir avec les nouvelles données qu’on aura à gérer dans le futur.

Pour ce faire, je souhaite que les différents ordres professionnels et intervenants travaillent ensemble pour épauler les agriculteurs. Faut voir la problématique dans son ensemble. Rien n’est parfait mais si une action améliore la situation, allons-y.

Je rêve du jour où on pourra dire que les agriculteurs de notre région ont innové et se sont impliqués activement dans la gestion de leur cours d’eau. Je rêve du jour où tous les ordres professionnels s’uniront pour nous aider au lieu de défendre leur secteur propre. Je rêve du jour où je pourrai retourner aux grenouilles avec mes petits enfants et leur dire « Regarde comme l’eau est belle »

N’ayons pas peur, unissons-nous et apprivoisons nos cours d’eau!

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