jeudi 27 mars 2014
Maîtres chez nous
Un souvenir qui me revient. Début d’été avec mon père
en train de ramasser des branches et des cailloux sortis d’un tout
nouveau fossé modelé au bulldozer. Une belle journée chaude, ça
sentait la terre fraîchement retournée. Seul en plein milieu du
champ avec comme bruit de fond, le cri des centaines de mouettes qui
se gavaient à volonté de vers de terres. Du haut de mes 9 ans, je
marchais d’un pas lourd dans de la terre démêlée. J’aidais comme je
pouvais à ramasser les bouts de branches et de cailloux. Mon père
lui, semblait excité. Il avait même l’air d’avoir du plaisir. Je me
demandais bien ce qui pouvait être si excitant de ramasser des
roches et des branches en cette journée chaude.
Il faisait tellement chaud qu’il avait enlevé ses
pantalons. Je le revois avec son chapeau, en bobettes, avec ses
grosses bottines de travail. D’un pas rapide, il se penchait en
étirant le bras, attrapant tout ce qui pouvait être ramassé et dans
un même mouvement qui se terminait par un lancer directement dans la
remorque. Sa force m’impressionnait. Il m’expliquait qu’il fallait
en ramasser le maximum avant de pouvoir semer le champ de luzerne
projetée. A l’occasion, il prenait son souffle, les mains sur les
hanches. Songeur, il regardait au loin…aucune idée de ce qu’il
pouvait bien voir. J’avais beau regarder dans la même direction, je
voyais seulement des champs. J’imaginais qu’il appréciait les
travaux d’égouttement qu’il venait de faire, qu’il voyait déjà son
prochain champ de luzerne qu’il voulait semer pour nourrir le
troupeau.
Aujourd’hui, je sais qu’il devait surtout être très
fier que l’agriculteur vendeur qui n’avait pas de relève avait
accepté de lui faire confiance. Il avait même accepté de financer
directement la vente pour lui donner un coup de main étant donné que
les banques avaient refusé de le financer. On cultivait maintenant
sur la terre à Zéphire!
J’ai vu la fierté et le désir de réussir coûte que
coûte. Je l’ai vu hausser le ton quand une tante dans la famille lui
avait lancé « Vas-tu être capable de te sortir du trou? » Cette
phrase assassine l’avait piqué au vif. L’agriculture pour eux était
une profession de second ordre. C’était difficile de l’extérieur de
comprendre ce qui pouvait motiver quelqu’un à faire tant de
sacrifice pour bâtir son rêve : devenir agriculteur comme son père
et son grand père. La terre familiale était déjà prise alors il
avait pris la décision de se partir seul. Indépendant, il voulait
construire sa ferme à son image.
Il nous racontait que pour être capable de subvenir
aux besoins de la famille, ses parents agriculteurs allaient aux
États Unis tous les hivers pour se faire un peu d’argent pour
revenir sur la terre au printemps. Mais lui, après 20 ans de travail
à l’extérieur et ma mère qui s’occupait du troupeau, le temps était
venu de faire le saut. Agriculteur à temps plein! Il le disait avec
fierté.
Quelques années plus tard, une maladie change les
plans. Obligé de vendre le troupeau, il décide de s’orienter vers
les cultures. Plein de projets en tète, il avait décidé de drainer
sa première terre, question de s’assurer de meilleurs rendements.
Pas de temps à perdre : drainage en plein milieu du champ de maïs
pour que tout soit fait pour l’automne. Il ne cessait de parler des
projets qu’il avait pour ses terres. Amaigri par la maladie, je l’ai
vu enseigner l’art de labourer à mon frère. C’était la fin de l’été,
le sol était sec et le tracteur à l’occasion, se montait sur ses
deux roues, digne du cheval cabré. Mon frère était assis sur l’aile
pour observer et quelques tours plus tard, c’était l’inverse. Il
parlait des projets pour l’année suivante. Quelques semaines plus
tard, la maladie avait pris le dessus. Il nous disait que c’était
juste une période difficile à passer. Il était prêt à démanteler le
troupeau, quelques équipements, à oublier ses projets, mais la
terre, ses terres, nos terres….«Garde les terres pour les enfants
» disait-il.
Depuis ce jour, je comprends le lien entre
l’agriculteur et sa terre.
Je
ne m’y suis jamais senti obligé, mais j’ai toujours senti
l’importance de la respecter. Surtout respecter ceux qui nous la
transmettent. Âgé de 13 et 14 ans, mon frère et moi étions déjà des
agriculteurs. On nous a appelé et on nous appelle encore les p’tits
Caplettes. Comme si la communauté rapprochée suivait notre
évolution.
Notre cheminement nous a amenés à notre tour vers de
nouveaux achats de terre pour assurer la viabilité de la ferme.
En 1990, une occasion se présente. L’agriculteur qui
n’a pas de relève annoncée nous offre la possibilité d’acheter ses
terres. Comme jeune relève, le fait de se faire offrir des terres
par un agriculteur renommé est un honneur et une grande
responsabilité aussi. Rien n’était donné, mais il nous avait choisis
comme on choisit quelqu’un à qui on transmet quelque chose de grande
valeur. Pour lui, c’était la plus belle terre du coin. C’était
important de la transmettre à quelqu’un qui pourrait prolonger son
amour de la terre. En prendre soin, l’aimer, la conserver,
l’améliorer pour la faire grandir.
Un comptable, un gestionnaire lui auraient suggéré
d’aller chercher le maximum du prix. A ce jeu, on aurait surement
perdu. On aurait eu beau faire de la planification financière
créative, cela n’aurait pas suffit.
Comme toute jeune entreprise, on a du trimmer dur
pour passer au travers des années difficiles. On a toujours gardé
l’amour de la terre. On a toujours été prêts à tout pour protéger
nos arrières :notre terre.
Aujourd’hui, je me questionne sur les efforts de mes
aïeux. Mes arrières grands parents paysans, mes grands parents qui
travaillaient à l’extérieur pour joindre les deux bouts. Mes parents
qui ont réussi à en vivre pleinement en y mettant beaucoup de
travail. Nous, qui avons traversé les périodes creuses pour arriver
aujourd’hui avec le prix actuel des terres millionnaires sur papier.
On n’a pourtant rien fait pour arriver à ce résultat.
Parfois je me dis qu’on a été chanceux d’être passés
au travers. Avec la valeur actuelle de nos terres, je réalise que je
ne serais même pas capable de m’acheter moi-même malgré mon
expérience, mes connaissances, et mes performances. Dans le fond, je
réalise que je suis capable d’en vivre parce que plusieurs
générations avant moi y ont mis efforts, argent, temps et amour du
métier.
Ça serait tellement facile de prendre le mérite. Hey,
avez-vous vu ma business! En me disant tout bas dans ma tête «Fiou!
J’suis passé au travers.»
Je pourrais me laisser aller et prendre le cash. Me
pousser vers une retraite dorée! Vendre à prix fort .Non, notre
objectif a toujours été d’être en agriculture et d’en vivre …c’est
notre profession, notre passion. Quand je pense aux sacrifices de
ceux qui m’ont précédé, je ne veux surtout pas être un babyboomer
agricole! Je sens la responsabilité de transmettre ma passion et la
chance de vivre de l’agriculture à d’autre jeunes qui en on le goût.
Peut-être qu’on devrait tous avoir un plan dans l’entreprise pour
assurer notre relève, familiale ou non.
Je me dis qu’au fond, j’ai toujours vécu avec des
moyens modestes qui m’ont permis d’ être heureux. Pourquoi
j’exigerais le gros montant à ceux qui me succéderont? On peut
envisager plusieurs scénarios de transfert qui n’égorgeront pas la
future relève tout en nous assurant d’obtenir une retraite décente.
Aujourd’hui, le fait de posséder des terres est
devenu une opportunité d’affaires. Le prix qui s’enflamme attire le
regard des grands financiers qui veulent en acheter. Nous sommes
dans un pays libre alors pourquoi pas? Certains groupes de gens
d’affaires affichent leur volonté de nous sauver . Des financiers
québécois associés à des économistes agriculteurs prétendent qu’avec
leur mode de gestion, ils pourraient faire mieux et assurer la
relève agricole, révolutionner la façon de faire de l’agriculture.
Modèle fort simple, ils nous achètent 49% de notre
terre et nous permettent d’en cultiver 4 fois plus grand. Wow!
suis-je seulement devenu un travailleur agricole? un opérateur
d’équipement? un simple exécutant? Ça semble tellement facile :
financement, équipement fourni, mais à quel prix? Suis-je en train
d’accepter un rêve de petit gars qui regarde les photos promo des
détaillants agricoles avec 4-5 moissonneuses dans le même champ?
Pourquoi en cultiver 4 fois plus? Peut-être que dans 4 ans, ils
auront changé leurs standards et faudra faire encore plus.
Pour moi, simplement lire cet article ou voir le
reportage à la semaine verte qui nous les présente, flanqués de
comptables prétendant aider l’agriculteur à choisir les bonnes
cultures rentables, je me suis senti insulté, diminué par leur
langage. Il me semble que chaque agriculteur le moindrement fier
leur ferait un geste d’honneur à ces roitelets financiers qui
veulent faire de l’agriculture internationale dans le seul but
d’assurer leur capital à long terme en gérant du haut des airs en
avion, entre deux continents ce qui se passe aux champs, les heures
supplémentaires, les variations météo, pas de problèmes.
Agriculteur de profession, jamais j’accepterais
d’embarquer dans un système qui nous relaie au rôle de statistique
économique et de performance où tout est décidé d’avance.
On est loin de la ferme familiale. Quand on ne
contrôle pas la gestion et les objectifs à long terme de la ferme,
on cesse d’en être une!
L’amour du métier ne suffira pas pour le prochain
transfert. Faudra faire plus si on veut la conserver telle qu’on
l’aime. Chez nous, on planifie déjà un plan de transfert pour notre
ferme. Relève familiale ou non, on a l’intention de porter le
flambeau de la ferme familiale agricole bien haut.
Aujourd’hui à mon tour, en plein milieu du champ,
les mains sur les hanches, je lève ma casquette, je regarde au loin.
J’observe, je réfléchis et je réalise encore plus le geste posé par
M. Zéphir avec mon père, et ma mère qui nous a supportés et M.
Lemoine et d’autres qui nous ont choisis. Ça sens bon, je sens une
légère brise, je me sens bien, je suis chez nous, sur notre ferme.
J’ai des images d’autrefois et je revois les travaux qu’on y a fait
et aujourd’hui, elle nous ressemble. Près de moi, mon garçon qui
regarde dans la même direction avec l’air de se demander ce que je
regarde….
MMMM Maîtres chez nous. Un
jour, tu comprendras! |