Lourde perte pour l’agriculture de ma région

Le 4 juillet dernier, alors que je m’aérais l’esprit sur une montagne, je m’installe tout en haut de la tour à Gervais. Le temps d’une pause biscuit bien mérité. Installé au grand air. Pas de moustiques dans un paysage montagneux avec le parc éolien du Massif du Sud au loin en arrière-plan.

On prend quelques photos et je jette un coup d’œil sur mon cellulaire. J’apprends la nouvelle qui me semble impossible. Ben voyons, ça ne se peut pas! C’est Alain! Alain Beaudin notre commissaire agricole est décédé. En général, les gens l’appellent Alain. Un gars impliqué à différents niveaux dans la région depuis plus de 25 ans.

Ce n’était pas un gars natif du coin, mais il avait adopté la région en se donnant comme mandat d’y faire rayonner l’agriculture. Alain, c’était un personnage plus grand que nature. Il a su innover au fil des ans et créer des liens entre différents intervenants afin de réaliser certains projets.

La relève lui tenait particulièrement à cœur tout comme l’immense possibilité de transformation qu’offre notre région. Un gars d’idées, de vision et d’une grande générosité. Il donnait toujours du crédit au gens avec qui il travaillait en se contentant du rôle d’entremetteur. Probablement le premier commissaire agricole au Québec. Pensez-y? Avez-vous un commissaire agricole chez vous? Il a réussi à créer un pont de communication entre les différents organismes de la région et l’agriculture.

Le voir partir à l’âge de 59 ans, c’est une énorme perte pour la région. De mon côté, je perds bien plus que ça. Je perds un ami. Un gars que j’ai appris à connaître au fil de nos discussions agricoles. Alain avait un grand sens de l’écoute. On avait découvert que notre parcours de départ en agriculture avait quelques similitudes. Dès qu’on parlait agriculture, Alain se transformait en p’tit gars qui rêve dans son carré de sable.

Des fous rires sans filtre accompagné des histoires qu’il racontait. Ça m’ouvrait la porte pour lui en raconter une de mon côté. Assis toi! Non non, c’est beau faut que j’y aille! On pouvait faire une prolongation d’une heure additionnelle encore debout accoté dans le garage.

Chaque fois, on réinventait l’agriculture en live. Jamais de jugement ou de raisonnement qui limite notre envolée oratoire. Un théâtre d’improvisation mixte agricole. Et souvent, il arrivait à en rajouter sur une idée qui me paraissait déjà flyée au départ. En fait, il semait des idées!

Au fil des années, certaines idées ont germé et font déjà des fleurs. D’autres sont en dormance et pourraient ressortir dans le futur. Alain, c’était un semeur d’idée et ce petit tannant en a semé un peu partout. Autant chez les jeunes que chez les « vieux comme moi ». On s’était un peu perdu de vue pendant la covid.

On a eu le privilège de travailler ensemble ce printemps. Une conférence sur les changements climatiques qui fut un succès. À la fin Alain me remettait en main propre une mention honorifique pour la valorisation de l’agriculture de la région et un cadeau : des bières de microbrasserie. Et il dit avec une certaine émotion : depuis le temps qu’on se dit qu’on veut aller prendre une bière… je t’en offre quelques-unes en attendant qu’on finisse par en prendre une ensemble! Ça m’a ébranlé! Vrai qu’on se promettait toujours d’aller prendre une bière quelques part, mais toujours occupé à nos horaires de malade.

Quand tu crois que tu te lèves tôt et que tu vois Alain passer sur la route. Non, il ne s’en va pas travailler, il revient de passer sa nuit à faire ses livraisons de fines herbes. Et sa journée était loin d’être fini. Aujourd’hui, je m’en veux. Je n’ai même pas eu le temps de la prendre avec lui cette fameuse bière. Comme quoi, il faut prendre le temps pendant qu’on est là si on ne veut pas le regretter plus tard.

Je me souviens de sa dernière visite, voilà deux semaines. Alain est avec moi dans le garage et Léo est entré. Alain, c’est un gars costaud, mais Léo va vers lui comme s’il se connaissait depuis longtemps. « Serres-tu la main à Alain? » Léo engouffre sa main dans celle d’Alain.  « Elle est grosse ta main », dit Léo.  Alain rit comme un p’tit gars. Léo sourit et dit en retournant les talons « salut Alain ». Je revois l’image dans ma tête et je ressens une certaine émotion de voir repartir le tout petit sous le regard du plus grand qui n’est plus là aujourd’hui.

Salut Alain. Avec tout ce que tu as semé sûrement qu’on pourra dire dans le futur : hey ça vient d’Alain cette idée-là !

Profession agriculteur.

Précédent
Précédent

Oser se démarquer par son audace et ses projets

Suivant
Suivant

Les moutons n’explosent pas?