Pourquoi je ne me protégeais pas

Quand on utilise des produits avec des faces de squelette sur la boîte, ça veut dire de se protéger


Par Paul Caplette - Le Bulletin des Agriculteurs

Les 19 et 20 février dernier se tenait un colloque intitulé : Les pesticides. Prévenir les risques et cultivez votre avenir! Je n’ai pas pu y assister malheureusement, mais réaliser que, selon un sondage*, +/-75% des utilisateurs ne se protégeaient pas convenablement, arrivait à ce que j’avais comme évaluation.

Pourquoi semble-t-on si frileux à porter des équipements de protection individuelle (EPI)? Je ne peux pas parler pour les autres, mais je peux au moins partager pourquoi moi j’ai mis du temps à les utiliser.

Je ne sais pas pour vous, mais chez nous, je crois qu’on a été élevé avec une drôle de mentalité. Je me rappelle que mon père se faisait un plaisir de « crever » un gars costaud et fort sur le grenier. Je l’entendais dire : c’est jeune, c’est fort, mais dès qu’il fait chaud et que les pieds leur passent à travers des balles, ils changent de vitesse! Je m’abstiens de dire le reste de la phrase… Souvent le lendemain, si le travailleur revenait, il arrivait avec des gants parce qu’il avait les mains remplies d’ampoules. Mon père disait : t’as pas besoin de ça! La corne va se former et ensuite tu pourras travailler sans gants!

C’est comme ça qu’on a commencé à travailler : sans gants. Et ce pour toutes sortes de tâches pas toujours évidentes. Je peux ajouter que j’ai longtemps travaillé sans porter de lunettes de sécurité, voire même sans casque de sécurité.

Je ne sais pas pourquoi, mais ça m’a pris une commotion cérébrale et quelques points de suture pour comprendre que ce serait peut-être une bonne idée de mettre un casque de sécurité quand je tourne autour des silos en hiver quand les couvertures sont couvertes de neige. C’est niaiseux de même!

Une fois convaincu, il a fallu que je m’organise pour qu’il y ait un casque disponible en tout temps près de l’endroit critique. Sinon : « j’ai oublié mon casque! Pas le temps de niaiser, ça presse, j’y vais comme ça ». C’est souvent dans ces occasions que l’accident arrive.

J’ai même ajouté une coquille de plastique au travers de ma casquette. Ça m’a évité une foule de coupures sur la tête quand je fais de la mécanique dans l’atelier. Aujourd’hui, avec l’expérience, je me protège : gants, lunette, couvre-tout, crème solaire, etc.

Confidence : j’ai toujours eu peur d’attraper un cancer de la peau dans le cou. J’ai fait du sarclage de cornichons des journées entières la tête en bas, le cou exposé plein soleil pendant une douzaine d’années. C’est quoi l’idée d’avoir une casquette sur la tête quand on a la tête en bas! Le cou est exposé plein soleil et aujourd’hui j’ai la peau du cou toujours bronzé même en plein hiver. Pas brillant mon affaire.

Nous voilà rendu aux pesticides. J’ai pourtant suivi 2-3 formations sur les pesticides. J’avais l’impression bizarre que l’idée des EPI me semblait exagérée. Donc, malheureusement, j’ai eu tendance à banaliser les EPI. Je me disais qu’à la quantité d’agriculteurs qui les utilisent sans protections, on devrait observer plus de cas de mortalité ou de maladie déclarés.

J’ai fini par accrocher quand j’ai réalisé que c’est l’effet cumulatif de différentes expositions qui peuvent au fil du temps faire réagir le corps et affecter notre santé. Un peu comme pour la résilience du corps à se faire bombarder par les rayons du soleil. Alors je me suis dit : réveille! Quand on utilise des produits qui finissent en « ide » avec des faces de squelette sur la boîte et sur l’étiquette, ça veut dire qu’on nous suggère de nous protéger. En tant que professionnel, je dois donc agir en professionnel et me protéger en conséquence. Ça m’a pris un an à trouver les « trous » qui faisaient qu’à telle occasion particulière, je ne les avais pas portés. Je devais trouver une façon d’éliminer ces trous.

Conclusion : comme plusieurs, j’ai manipulé longtemps des pesticides sans aucune protection pendant 36 ans. Je porte maintenant mes EPI en tout temps et je n’y vois que des avantages. Je dirais même que c’est plus confortable et que je me sens tout nu si je ne les porte pas.

Par contre, je vis avec le regard inquiet de certains citoyens autour. Ils m’ont vu travailler sans rien pendant 36 ans et qui tout d’un coup me voit arriver ganté avec un masque intégral. Ils se disent que ce que j’utilise maintenant doit être plus nocif, alors que pourtant j’utilise des pesticides à moindre risque qui ont un IRS plus bas (indice de risque pour la santé).

Profession agriculteur.

Précédent
Précédent

Des industries qui ne savent plus sur quel pied danser face aux tarifs

Suivant
Suivant

Favoriser l'engagement pour une agriculture durable - Plus de 35 M$ pour soutenir les producteurs et les productrices agricoles