Travail invisible des femmes en agriculture
Comme un job à temps plein non rémunéré
Elles sont essentielles au bon fonctionnement de la ferme familiale, mais ne sont pas toujours rémunérées pour leurs tâches. Comptabilité, gestion du personnel, ventes, soin des animaux : les femmes en agriculture réalisent en moyenne 2392 heures de travail invisible chaque année, ce qui représente un salaire de 45 507 $*.
*PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE
Ces chiffres sont tirés des réponses d’un outil de calcul diffusé par les Agricultrices du Québec, un groupe affilié à l’Union des producteurs agricoles. Le questionnaire a été rempli par 398 productrices.
« On veut sensibiliser les propriétaires des entreprises au fait que si ces femmes-là n’étaient pas là, il faudrait qu’ils payent quelqu’un pour les faire, ces tâches-là », explique la productrice laitière Valérie Fortier, présidente des Agricultrices du Québec. « Dans le monde agricole, les femmes sont souvent moins rémunérées ou pas rémunérées du tout », ajoute-t-elle.
La ferme est souvent à la fois le domicile et le lieu de travail des agriculteurs. La frontière entre la famille et le gagne-pain est beaucoup plus floue que dans d’autres domaines. « Ta job est dans ta cour », résume Mme Fortier, qui est copropriétaire de son entreprise avec son père.
Les résultats
Le coup de sonde – dont les résultats sont publiés ce samedi – a démontré que les femmes réalisent 46 heures de travail invisible chaque semaine dans plusieurs types d’activité allant de la transformation alimentaire à l’entretien de la machinerie agricole en passant par l’agrotourisme.
Près de 45 % des répondantes ont affirmé qu’elles s’occupaient de tâches administratives, près de 40 %, de la comptabilité, près de 20 %, de la gestion du personnel et près de 20 %, de la promotion et du marketing.
Près de 20 % des répondantes s’occupent des animaux, 10 %, de travaux au champ et près de 25 %, du nettoyage et de l’assainissement.
« On veut sensibiliser les hommes », indique Mme Fortier.
« Le fait que les femmes n’ont pas accès à cette rémunération-là, ça empêche les femmes d’avoir des protections sociales », dit la présidente des Agricultrices du Québec en citant l’exemple de la CNESST pour les accidents de travail.
La moyenne des heures réalisées est aussi plus importante chez les femmes qui ont des enfants et croît avec leur nombre. « Ce sont des tâches qui se font de façon graduelle », explique Mme Fortier.
Nombre de femmes qui vivent sur des fermes ne se considèrent pas comme des agricultrices, note l’acéricultrice Bianka Pagé, présidente des Agricultrices de la Mauricie. « Finalement, on se rend compte qu’elles en font énormément et elles-mêmes ne se considèrent pas agricultrices parce qu’elles ne sont pas 100 % du temps dans le champ ou en train de faire une tâche 100 % agricole. »
« On oublie que ce travail-là est essentiel à la réussite de l’entreprise, même si ce n’est pas toujours des tâches 100 % liées à la terre », ajoute-t-elle.
Solution : un crédit d’impôt ?
Au Québec, les femmes représentent 27 % des propriétaires ou copropriétaires des entreprises agricoles.
« Les entreprises sont transférées de génération masculine à génération masculine, donc souvent c’est une fille qui est la bru et qui arrive dans l’entreprise, mais le beau-père a peur que la dame parte avec la moitié de sa business qu’il a montée jusque-là », souligne Mme Fortier.
Elle souligne qu’il existe pourtant des dispositions légales qui peuvent protéger toutes les parties de manière équitable dans un tel scénario.
Les fermes québécoises ne roulent pas toutes sur l’or et, parfois, il n’y a qu’un seul salaire de versé au sein d’un couple car l’entreprise ne tire pas assez de revenus pour en payer deux. D’autres fois, souligne Mme Fortier, le travail de bureau n’est tout simplement pas autant valorisé que le travail « physique ».
Il y a aussi les habitudes. L’agriculture est un mode de vie, et les agriculteurs ont vu leurs mères et leurs grands-mères réaliser gratuitement les tâches que font maintenant leurs conjointes.
Mais le fait de n’avoir ni salaire ni parts dans l’entreprise fragilise les femmes en cas de séparation, prévient Mme Fortier. « Si tu n’es pas mariée, même si tu as des enfants, c’est zéro. Tu pars avec ton petit bonheur et c’est tout. »
Les Agricultrices du Québec veulent aussi se servir des résultats du sondage pour faire des démarches auprès des gouvernements. « On voulait avoir des données tangibles », illustre Mme Fortier.
Les Agricultrices du Québec plaident pour la mise en place d’un crédit d’impôt. « Si l’entreprise est allée chercher un crédit d’impôt pour le travail invisible qui a été fait sur l’entreprise, s’il y a séparation, après ça, elle va pouvoir prouver qu’elle a travaillé dans l’entreprise même si elle n’avait pas de parts », explique Mme Fortier.
* Le salaire a été calculé en se basant sur le taux horaire agricole médian établi par Statistique Canada, soit 18,09 $ pour le Québec. L’outil de calcul a été financé par le secrétariat à la condition féminine. Il a été lancé en ligne au début décembre et les données ont été colligées à la mi-février.